Discogonie est un barbarisme valise formé de la contraction entre discographie et cosmogonie.
Cosmogonie n.f. (gr. kosmos, univers et gonos, génération).1. Récit mythique de la formation de l’univers et, souvent, de l’émergence des sociétés. 2. Science de la formation des objets célestes (planètes, étoiles, galaxies, etc.). Le Robert
Il s’agit donc de considérer qu’un vinyle, ce trou noir qui opère 33 révolutions par minute sur nos platines, est le récit sonore du commencement d’un monde propre au groupe de musiciens qui l’a enregistré, dont le big-bang serait l’impact du tout premier son, et les sept jours de la Création ramassés sur 45 minutes environ.
L’exercice de la discogonie est contraignant : la pagination du livre sera fonction du temps que dure l’album (un disque dure 46'32", le livre devra comporter 46 pages de texte. Mieux encore : un chapitre par chanson. On espère tirer de cette contrainte une substantifique analyse qui rompra avec les courtes colonnes des magazines spécialisés.
Cet espace ne devra cependant pas être mis à profit pour servir l’ego de l’auteur (par étalage stylistique) ou alimenter son autobiographie (par accumulation d'anecdotes personnelles).
Que reste-t-il ? Le son, les minutes du process, ce qui est dit, ce qu’on entend...
Avouons que Greil Marcus parlant de chamanisme à propos de Jonathan Richman sur Roadrunner*, ou Lester Bangs d'abstraction à propos des vocaux d’Iggy Pop à la fin de Fun house sont nos guides spirituels.
Ce qui nous intéresse n’est pas la déconstruction d’un mythe ou la constitution d’un culte autour d'un album, mais ce en quoi l’album, comme tranche de musique concrète, constitue un nouveau récit originel (dans l’imaginaire du groupe plutôt que dans sa réception publique). Une implication de ce parti est que l’album étudié ait, au moins pour son auteur, un caractère d’originalité ou une cohérence conceptuelle. Ce point de vue formel n’interdit pourtant pas de penser les dimensions sociales du son. Simplement, nous partons toujours du matériel enregistré. Même si la collection devra s’adresser au plus large public parmi les amateurs du genre, quelques éléments propres à l’analyse musicologique seront bienvenus, et plus précisément, on utilisera volontiers la palette du jargon habituellement réservé aux musiques plus nobles. On essaiera en outre de mettre le contexte à la porte, même si on sait qu’il reviendra par la fenêtre.
* Richman prend encore une respiration profonde – et chaque fois que je l’écoute, je souris en pensant à la suite de la chanson. Chacune des phrases à venir, narration la plus convenue d’une expérience que des millions de gens ont faite dans n’importe quelle nuit idéale de leur adolescence, sera brisée et recréée. Chacune des phrases va être réduite à un simple mot, chaque mot traînera dans sa phrase, les couplets et le refrain seront disloqués dans une incantation chamanique, le refrain, qui, lui, demeure entier, va combattre pour se maintenir dans l’incompréhensible rythme des couplets et d’une certaine façon y parviendra, même si alors les mots seront à peine des mots, juste des enseignes lumineuses Burma Shave qui défilent trop vite pour être lues. Greil Marcus, Lipstick Traces, éditions Allia, p. 78
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire